La quête de sens, la réponse à des « pourquoi » impossibles porte un nom : la métaphysique. Est-ce une réponse à l’expérience du rien ?
La métaphysique questionne au-delà des apparences, des croyances, tout ce qui nous constitue. D’une certaine manière elle remet toutes nos connaissances en question. Comme si rien n’était jamais acquis et que tout restait encore à découvrir.
Elle tente de définir notre rapport au temps, à la mort, à la vie, à la matière, à nos pensées. D’une certaine façon elle contient en elle-même toutes les questions posées par la philosophie, la science et la spiritualité.
Elle cherche à définir l’être en tant qu’Etre. Pour se faire, elle questionne, interroge, dissèque, tente de donner des réponses sans forcément y parvenir. Elle requiert à la fois une grande concentration, afin de prendre tous les paramètres en compte pour tenter de répondre à la question posée et un grand relâchement dans l’acceptation du principe que nous ne savons pas tout de ce monde qui nous entoure et de cette matière, physique, psychique, immatérielle et insondable dont nous sommes constitués.
Entrer dans le domaine de la métaphysique est l’aventure d’une vie, si ce n’est plus, tant la tâche pour essayer de comprendre est vaste.
Le propre même de la métaphysique réside dans sa nature à explorer l’incompréhensible. Elle propose un regard décalé, différent sur notre réalité. Elle permet à la fois un élargissement du champ de conscience et un retour vers soi, en soi. Du fait des questions qu’elles embrassent et soulèvent, les prises de consciences peuvent être proprement vertigineuses et source d’angoisses, pour celui qui, inconsciemment, n’arrive pas à proposer de réponse tangible aux questions qu’il se pose.
Vouloir comprendre et analyser l’origine des choses est le propre de l’homme doté de conscience. C’est à la fois notre plus grande force qui fait que nous sommes au sommet du règne animal et en même temps, notre plus grande faiblesse car elle est source d’angoisses, parfois extrêmement profondes et dont il peut être difficile de se libérer.
Le Rêve Eveillé Libre, en tant que méthode psychothérapeutique peut être une approche novatrice et particulièrement adaptée pour répondre à ces angoisses existentielles.
Le Rêve Eveillé Libre est une méthode d’exploration de l’inconscient d’abord initiée par Robert Désoille au milieu du 20e siècle, puis conceptualisée et mise en place par George Romey dans les années 80. Son approche symbolique, stimulée par un état de conscience modifié est le terrain de jeu idéal pour explorer des dimensions difficilement accessibles par le mental. Voyons comment le Rêve Eveillé Libre peut servir d’outil d’exploration métaphysique, offrant de nouvelles perspectives sur ces questions anciennes et profondes.
Le Rêve Eveillé Libre s’inscrit dans une dynamique de l’imaginaire accessible grâce à un état modifié de conscience, proche d’un état méditatif ou de transe chamanique, tout en restant dans le cadre d’une approche thérapeutique. Des questions comme la nature de la conscience, le rapport au réel, les questions d’identité, le sens de l’existence, trouvent un écho favorable à travers cette expérience du rêve. Le Rêve Eveillé Libre rejoint la métaphysique, dans le sens où il casse les codes, ne reste pas sur des vérités établies, oblige thérapeute et rêveur à sortir du connu pour entrer ensemble dans un champ thérapeutique très différent des thérapies dites conventionnelles.
Les expériences de Rêve Eveillé Libre rapportent fréquemment un élargissement du champ de conscience, propre à la métaphysique, à travers l’exploration de symboles qui en sont les témoins. Georges Romey en décrit un bon nombre dans son Dictionnaire de la Symbolique des rêves. Le « ciel étoilé » par exemple « rétablit un rapport de confiance avec le Mystère. […] Devant une nuit pleine d’étoiles, l’âme s’ouvre aux forces de sa vérité. Le ciel étoilé est expérience de l’innombrable. Il rend l’être à la simplicité. Il ouvre les portes de la liberté. »
Georges Romey n’a eu de cesse d’être le témoin de prises de conscience vertigineuses de la part de ses rêveurs. La métaphysique est omniprésente dans ses écrits, sans doute parce que lui-même devait être passionné par le sujet, mais surtout parce que ce sont des questions prépondérantes dans le champ de la thérapie. Grâce au rêve, l’esprit est libre d’aller là où bon lui semble. Il ne s’embarrasse aucunement des habits du mental et ce sont bien les questions les plus profondes qui apparaissent dans les rêves. Par exemple, un rêve d’éternité » aide à dissiper l’angoisse engendrée par l’approche du rien. »
Comme l’infini, l’éternité du rêve donne à vivre une expérience. […] L’éternité s’oppose au temps compté, au temps mesuré, aux partitions inspirées par le besoin de conjurer la peur du temps illimité. La « mentalisation » s’oppose à la sensibilité intuitive. »[1]
Comment ces notions de temps illimité, d’approche du rien, toutefois extrêmement angoissantes pour certains peuvent se révéler et s’exprimer de façon aussi flagrante que dans les rêves ? Voyons comment le Rêve Eveillé Libre permet une expérience du rien.
Expérience du rien
Il m’a été donné d’accompagner des rêveurs dans cette expérience du rien, du vide. Je pense à cette jeune femme de 26 ans qui a commencé son rêve par deux ou trois mots puis qui s’est peu à peu enfoncée dans une forme de silence qui a duré près de quinze bonnes minutes. Était-elle en train de dormir ? Cela ne semblait pas être le cas. Je la voyais tranquillement respirer, un peu à la façon de Blanche Neige dans son cercueil de cristal, comme si rien de ce que se passait autour ne pouvait la déranger.
Pour moi, ce fût une expérience un peu troublante, car tellement habitué à ce que le rêveur décrive ce qu’il voit dans son rêve, j’attendais désespérément un signe de sa part. Mais il n’en a rien été. La voyant sereine, j’ai décidé de ne pas intervenir en ne jugeant pas de ce qui serait ou ne serait pas de l’ordre du rêve.
Lorsque le temps de la séance avançait vers la fin, je décidais d’intervenir en l’invitant à sortir de cet état de conscience modifié pour me rejoindre et discuter de cette expérience. Après lui avoir demandé comment elle se sentait, elle me répondit qu’elle se sentait parfaitement bien, qu’elle avait vécu l’expérience du vide et que cela lui avait fait du bien.
Dans quelle mesure, cet espace avait été véritablement vide ? L’esprit est-il capable, bel et bien, de s’arrêter de penser ? Était-ce une échappatoire pour ne pas me décrire ce qu’elle avait vu ou ressenti en rêve ? Je ne le saurai peut-être jamais. Mais toujours est-il que j’ai décidé de conserver le mystère quant à cette expérience du vide, sans chercher à le combler avec des questions auxquelles elle-même ne semblait pas avoir les réponses.
Ces quinze minutes de vide m’ont fait l’impression d’un « reset », d’une opportunité de revenir à la source de soi-même, avant la naissance mais aussi après l’état de mort. Un état de tranquillité absolue qui permet de se retrouver dans son essence, soi avec soi-même, sans parasite, sans le moulin incessant des pensées.
J’ai senti chez cette jeune femme qui a énormément de mal à exprimer ses émotions, une certaine sérénité qui semblait se dégager d’elle. En essayant de comprendre ce besoin de vide, elle m’a expliqué que pendant que sa maman la portait durant sa grossesse, elle avait continué de travailler jusqu’au bout, créant peut être chez ce nouveau-né qui se préparait à naître, une incompréhension du vide, du rien. Comme si cette jeune femme avait été bousculée dans son rythme primal. Ce rêve vécu en séance lui aura sans doute permis de revivre ce temps absolu que devraient être les six premiers mois de gestation.
Quel cadeau s’est donc offert cette jeune femme en rentrant à ce point dans son intériorité, sans avoir besoin de justifier quoi que ce soit de ce qu’elle venait de s’offrir !
Notre travail de thérapeute nous amène quelques fois à nous effacer au profit de ce qui doit être, de l’expérience du rêveur. Nous ne devons pas laisser nos propres angoisses du vide nous laisser nous submerger. Nous nous devons d’accueillir le silence quand celui-ci se présente. Notre humilité vis-à-vis de ce qui se joue dans l’esprit du rêveur est en quelque sorte l’espace sécurisant dans lequel il peut s’exprimer, expérimenter des parts de lui, alors encore inconnues.
Accepter de ne pas savoir et d’oser admettre qu’on ne sait pas, est en soi une démarche métaphysique. Surtout, elle valide l’expérience du rêveur qui, même s’il n’a pas forcément compris le sens de ce qu’il était en train de vivre, s’autorise à ressentir, ou à ne pas ressentir, à explorer ou ne pas explorer, à penser ou ne pas penser.
La seule chose qui compte finalement, est le fruit de cette expérience, qui favorisera peut-être un meilleur endormissement, un sentiment de sécurité ou de confiance en soi renforcé. De l’acceptation de ce qui est vécu mais sur lequel, parfois, les mots sont difficiles, voir impossibles à poser, rêveur et thérapeute ressortent tous deux grandis !
[1] Romey, G. (2013). Dictionnaire de la symbolique des rêves. Albin Michel. p 260